La déspécialisation du bail commercial et l'importance du règlement de copropriété
La cession d’un fonds de commerce implique généralement le transfert du bail commercial au profit du cessionnaire. Toutefois, la destination prévue au bail peut constituer un frein majeur lorsque le repreneur souhaite exercer une activité qui diffère de celle initialement autorisée. C’est dans ce contexte que la déspécialisation du bail ainsi que la vérification minutieuse du règlement de copropriété prennent toute leur importance.
La déspécialisation du bail commercial : un enjeu stratégique
Le bail commercial comporte par principe une clause de destination qui définit précisément les activités autorisées dans les locaux. Cette clause, qui protège les intérêts du bailleur et l’équilibre commercial de l’immeuble, peut toutefois devenir contraignante dans un contexte économique qui est en perpétuelle évolution.
« J’avais repéré un local idéalement situé qui abritait une librairie, mais mon projet concernait un salon de thé. Sans la procédure de déspécialisation, j’aurais dû renoncer à cette opportunité exceptionnelle, » témoigne Claire Machado, gérante d’un établissement désormais florissant dans le centre-ville de Périgueux.
Selon l’Observatoire des baux commerciaux, 43% des repreneurs souhaitent modifier, au moins partiellement, l’activité prévue au bail initial, d’où l’importance de bien maîtriser les mécanismes de déspécialisation.
La déspécialisation partielle : élargir le champ des possibles
La déspécialisation partielle, encadrée par l’article L145-47 du Code de commerce, permet au locataire d’adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou même complémentaires. Cette procédure présente l’avantage d’être relativement simple à mettre en œuvre.
Le preneur doit notifier son intention au bailleur par acte extrajudiciaire (le plus souvent un commissaire de justice), en précisant les activités complémentaires envisagées. Le propriétaire dispose alors de deux mois pour contester cette demande devant le tribunal judiciaire, faute de quoi son silence vaut acceptation.
Article L. 145-47
« Le locataire peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. À cette fin, il fait connaître son intention au bailleur par acte extrajudiciaire en précisant les activités dont l’exercice est envisagé. Le bailleur peut contester cette demande dans un délai de deux mois à compter de cette notification en saisissant le tribunal judiciaire. À défaut, il est réputé avoir accepté ces activités. »
Cette solution est particulièrement adaptée pour les commerces souhaitant diversifier leur offre tout en restant dans un domaine proche de leur activité initiale, comme un opticien qui souhaiterait vendre des accessoires de mode, ou un restaurant qui envisagerait une activité de vente à emporter.
La déspécialisation totale : changer radicalement d'activité
Plus complexe, la déspécialisation totale permet de transformer complètement l’activité exercée dans les locaux. Régie par l’article L145-48 du Code de commerce, cette procédure est soumise à des conditions plus strictes :
- Le locataire doit justifier que l’activité prévue au bail ne lui permet plus d’assurer une exploitation rentable du fonds.
- La nouvelle activité doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble.
La demande, également notifiée par acte extrajudiciaire, doit être précise quant à l’activité projetée. Le bailleur peut s’y opposer ou demander une augmentation du loyer. En cas de désaccord, le tribunal tranchera en prenant en compte les intérêts légitimes des deux parties.
Les limites à la déspécialisation
Malgré ces dispositifs légaux, certaines limites peuvent faire obstacle à la déspécialisation :
- Une clause expresse d’interdiction de déspécialisation partielle peut figurer au bail. Cette clause est valable et opposable au preneur.
- Le règlement de copropriété peut interdire certaines activités dans l’immeuble.
- Le Plan Local d’Urbanisme peut restreindre les changements d’activité dans certaines zones.
- Un bail « tous commerces » ne peut faire l’objet d’une déspécialisation pour une activité artisanale ou une profession libérale.
L'importance cruciale du règlement de copropriété
Dans les immeubles soumis au régime de la copropriété, le règlement constitue la « loi de l’immeuble » et s’impose à tous les occupants, propriétaires comme locataires. Sa vérification minutieuse est indispensable avant toute acquisition de fonds de commerce.
Le règlement de copropriété peut en effet contenir des clauses restrictives concernant les activités autorisées, les horaires d’ouverture, l’utilisation des parties communes, la pose d’enseignes ou encore les travaux d’aménagement envisageables.
Les pièges à éviter concernant le règlement de copropriété
La pratique révèle plusieurs situations problématiques fréquentes :
- L’absence de communication du règlement : Certains bailleurs omettent de communiquer ce document essentiel. Il est recommandé de l’exiger systématiquement et de le faire analyser par un professionnel.
- Les contradictions entre bail et règlement : Le bail peut autoriser une activité que le règlement interdit. Dans ce cas, c’est généralement la restriction la plus sévère qui s’applique.
- Les modifications du règlement : Le règlement peut avoir été modifié par des décisions d’assemblée générale. Il convient donc de vérifier également les procès-verbaux des assemblées.
- Les tolérances de fait : Une activité exercée depuis longtemps malgré une interdiction du règlement peut créer une illusion de droit. Toutefois, cette tolérance peut être remise en cause à tout moment par les copropriétaires.
Les conséquences d'une violation du règlement de copropriété
Les risques encourus en cas de non-respect du règlement sont majeurs :
- Une action en justice des copropriétaires ou du syndic peut aboutir à l’interdiction d’exercer l’activité litigieuse.
- Des astreintes financières peuvent être prononcées par le tribunal.
- La responsabilité du bailleur peut être engagée s’il a autorisé une activité interdite par le règlement.
- Dans les cas les plus graves, la résiliation du bail peut être prononcée pour violation des obligations contractuelles.
La nécessité d'une approche préventive
Face à ces enjeux, une approche préventive s’impose :
- Obtenir et étudier le règlement de copropriété dès le début des négociations pour l’acquisition du fonds.
- Vérifier la compatibilité de l’activité envisagée avec ce règlement et le bail.
- Engager si nécessaire une procédure de déspécialisation avant la signature définitive.
- Insérer dans l’acte de cession une condition suspensive relative à l’obtention de la déspécialisation et à la compatibilité de l’activité avec le règlement de copropriété.
- Consulter un avocat spécialisé en droit commercial et immobilier pour sécuriser juridiquement l’opération.
La déspécialisation du bail commercial et l’analyse du règlement de copropriété constituent deux aspects juridiques qui se révèlent fondamentaux lors de l’acquisition d’un fonds de commerce. Leur prise en compte anticipée va permettre d’éviter des écueils potentiellement destructeurs pour l’entreprise et garantir la sécurité juridique de l’investissement réalisé. Le repreneur avisé ne négligera jamais ces dimensions, même si elles peuvent sembler techniques, complexes, et rébarbatives au premier abord.