Achat du fonds de commerce versus achat de parts sociales : deux voies distinctes pour reprendre une entreprise
La reprise d’une entreprise pourra s’opérer selon deux modalités juridiques distinctes : l’acquisition directe du fonds de commerce ou bien l’achat des parts sociales de la société qui exploite ce fonds. Ces deux approches, bien que visant le même objectif économique, présenteront des différences fondamentales en termes juridiques, fiscaux et opérationnels qui méritent une analyse approfondie avant toute décision.
Deux opérations juridiquement distinctes
L’acquisition d’un fonds de commerce consiste à acheter les éléments corporels (matériel, mobilier, stock) et incorporels (clientèle, droit au bail, enseigne, marques) qui permettent l’exploitation d’une activité commerciale. Cette transaction porte sur les actifs de l’entreprise, mais n’inclut généralement pas les dettes. C’est le principe de l’universalité de fait.
« Lorsque j’ai repris la boulangerie du quartier, j’ai opté pour l’achat du fonds car le passif de la société était trop important. Cette décision m’a permis de repartir sur des bases saines tout en conservant la clientèle fidèle à l’enseigne, » explique Pierre Durand, artisan boulanger.
À l’inverse, l’acquisition de parts sociales (ou d’actions) consiste à acheter tout ou partie du capital social de la société exploitant le fonds. Dans ce cas, l’acheteur devient associé ou actionnaire de la structure juridique existante, avec tous les droits et obligations qui s’y attachent. C’est le principe de l’universalité de droit.
Selon la Fédération Française des Associations de Repreneurs d’Entreprises, 58% des reprises de PME s’effectuent par achat de titres sociaux, contre 42% par achat direct du fonds de commerce.
Les implications fiscales, un élément déterminant
Le choix entre ces deux modalités a des conséquences fiscales majeures :
Pour l’achat du fonds de commerce :
- Droits d’enregistrement : 5% du prix (avec un barème dégressif pour les fonds dont la valeur n’excède pas 200 000 €).
- TVA applicable aux éléments corporels (sauf si le vendeur est non assujetti).
- Possibilité d’amortir les éléments corporels et certains incorporels (brevets, logiciels).
- Création d’une nouvelle entité fiscale, sans report des déficits antérieurs.
Pour l’achat de parts sociales :
- Droits d’enregistrement de 3% pour les parts de SARL et assimilées (avec un abattement de 23 000 € proportionnel au nombre de parts acquises).
- Droits d’enregistrement de 0,1% pour les actions de SA, SAS et sociétés cotées.
- Impossibilité d’amortir le prix d’acquisition des titres.
- Continuation de l’entité fiscale existante, avec possibilité de reporter les déficits antérieurs sous certaines conditions.
Ces différences fiscales peuvent générer des écarts significatifs dans le coût final de l’opération et dans la rentabilité future de l’investissement.
La question cruciale du passif
La principale différence opérationnelle entre ces deux approches réside dans l’attitude face au passif de l’entreprise :
Dans le cas de l’achat du fonds, le repreneur ne récupère pas les dettes de l’entreprise, qui restent à la charge du vendeur ou de sa société. Cette « mise à zéro des compteurs » constitue un avantage majeur, particulièrement pour les entreprises en difficulté.
À l’inverse, l’achat de parts sociales implique la reprise de l’intégralité de l’actif et du passif de la société. L’acquéreur devient responsable de toutes les dettes existantes, y compris celles qui n’auraient pas été portées à sa connaissance lors de la transaction.
Pour se prémunir contre ce risque, l’acheteur de parts sociales doit exiger :
- Un audit complet de la société (due diligence).
- Une garantie de passif et d’actif solide.
- Des clauses de révision de prix en cas de découverte ultérieure d’éléments non divulgués.
Les conséquences sur les contrats en cours
L’impact sur les contrats existants diffère également selon la modalité choisie :
Dans le cas de l’achat du fonds :
- Les contrats de travail sont automatiquement transférés au repreneur (article L.1224-1 du Code du travail).
- Les contrats commerciaux (fournisseurs, clients) doivent généralement être renégociés, sauf clause de transfert automatique.
- Le contrat de bail commercial nécessite l’agrément du bailleur, qui peut s’opposer au transfert sous certaines conditions définies contractuellement ou par la loi (article L. 145-16 du Code de commerce).
Dans le cas de l’achat de parts sociales :
- Tous les contrats se poursuivent sans modification, puisque la personnalité juridique de la société (personne morale) restant inchangée.
- Attention pour le contrat de bail. Il peut être prévu une clause qui permet au bailleur d’imposer son agrément : clause dite « clause de changement de contrôle » ou « clause d’agrément en cas de modification substantielle de l’actionnariat ».
- Cette continuité peut être un avantage majeur pour préserver des relations commerciales établies ou des autorisations administratives difficiles à obtenir.
L'impact sur la relation avec les salariés
La dimension sociale de la reprise est également affectée par le choix entre ces deux modalités :
L’achat du fonds implique un transfert automatique des contrats de travail, mais constitue néanmoins une rupture symbolique qui peut nécessiter un travail de réassurance auprès des équipes.
L’achat de parts sociales, en revanche, s’inscrit dans une continuité parfaite pour les salariés, qui conservent leur ancienneté, leurs avantages acquis et leurs représentants du personnel. Cette stabilité peut faciliter l’acceptation du changement de direction.
Les considérations stratégiques
Au-delà des aspects juridiques et fiscaux, des considérations stratégiques doivent guider le choix du repreneur :
L’achat du fonds peut être préférable lorsque :
- L’entreprise connaît des difficultés financières importantes.
- Le repreneur souhaite modifier substantiellement l’organisation ou l’image de l’entreprise.
- Certains actifs ou contrats de l’entreprise présentent peu d’intérêt pour le projet.
- Le repreneur souhaite intégrer le fonds dans une structure juridique existante.
L’achat de parts sociales sera plus adapté quand :
- La société possède des autorisations administratives, licences ou agréments difficiles à obtenir.
- L’entreprise bénéficie d’une réputation ou d’une notation de crédit établie.
- Des marchés publics ou contrats importants sont en cours.
- La société dispose d’avantages fiscaux (crédits d’impôt, déficits reportables) substantiels.
Les modalités de financement
Les possibilités de financement diffèrent également selon l’option retenue :
L’achat d’un fonds de commerce peut bénéficier de financements bancaires classiques, avec des garanties portant sur les actifs acquis. Le prêteur dispose d’une vision claire des éléments financés.
L’achat de parts sociales est souvent perçu comme plus risqué par les établissements financiers, du fait de l’opacité relative sur le passif réel de la société. Les conditions de financement peuvent donc être moins favorables, sauf mise en place de garanties complémentaires (importance de la garantie de passif).
L'importance des audits préalables
Quelle que soit l’option choisie, la réalisation d’audits préalables est indispensable, mais leur nature diffère :
Pour l’achat du fonds :
- Analyse de la transférabilité de la clientèle.
- Évaluation des actifs corporels et incorporels.
- Vérification de la conformité des locaux et équipements.
- Analyse de la pérennité du bail commercial.
Pour l’achat de parts sociales :
- Audit juridique complet de la société (statuts, procès-verbaux, contrats).
- Audit fiscal et social approfondi.
- Vérification des engagements hors bilan.
- Analyse des litiges en cours ou potentiels.
La nécessité d'un accompagnement spécialisé
Face à la complexité de ces opérations, l’accompagnement par des professionnels spécialisés s’avère indispensable :
- L’expert-comptable évaluera la pertinence économique et fiscale de chaque option.
- L’avocat d’affaires sécurisera juridiquement la transaction et négociera les garanties.
- Le notaire interviendra pour authentifier les actes et assurer leur publicité.
Cet accompagnement pluridisciplinaire permet d’optimiser la structure de l’opération et de minimiser les risques juridiques, fiscaux et sociaux.
Le choix entre l’acquisition du fonds de commerce et l’achat des parts sociales constitue donc une décision stratégique majeure qui conditionnera durablement l’avenir de l’entreprise reprise.
Au-delà des considérations fiscales souvent mises en avant, c’est l’ensemble des dimensions juridiques, sociales et opérationnelles qui doivent être analysées pour déterminer la modalité la plus adaptée au projet spécifique du repreneur. Une réflexion approfondie, nourrie par l’expertise de professionnels spécialisés, permettra de sécuriser cette étape cruciale dans le parcours entrepreneurial.